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samedi 28 octobre 2023

Parlons un peu de Balrogs !


La lecture offre parfois des instants qui vous marquent durablement. Après plusieurs décennies, ceux-ci hantent encore votre esprit d'un puissant écho de la fascination alors éprouvée. Il en fut ainsi lorsqu'à quinze ans je lisais pour la première fois Le Seigneur des Anneaux, et notamment le chapitre intitulé « Le Pont de Khazad-Dûm » du premier tome de mon édition de poche. Moment fatidique de la narration, où la troupe réduite de personnages principaux doit affronter un terrible adversaire surgi des profondeurs : un « Balrog ».

 

Si le dynamisme du style narratif de Tolkien reste souvent sujet à débats, la construction du récit s'avère ici plutôt efficace : l'ennemi est esquissé plus qu'il n'est décrit, par touches subtiles et successives, et c'est surtout par l'effroi préliminaire qu'il provoque chez les personnages - pourtant héroïques et endurcis - que se communique finalement au lecteur la crainte que génère cette créature. Et encore, il est dommage que la traduction de cette édition nous prive des subtilités de la réaction de l'un des personnages : l'Elfe Legolas. Dans la version originale, celui-ci gémit : Ai, ai, a Barlog, a Balrog is come ! L'interjection « ai » relève d'un vocabulaire soutenu et vieilli propre à la littérature anglaise antérieure au XIXe siècle ou à la poésie, mais a été traduite en français par le banal et familier « aïe » qui dénature quelque peu l'intention de l'auteur. En effet, cette double interjection, associée à la construction grammaticale précieuse « a Balrog is come » (au lieu de « a Balrog has come » en anglais moderne), cherche à souligner le caractère très elfique du personnage, qui bien que placé dans une situation de stress intense et face à un ennemi redoutable et millénaire de sa race, ne saurait se départir d'un langage très soutenu. Le flegme elfique à son paroxysme, en quelque sorte.

Et lorsque l'une des autres figures principales du récit, qui a assumé jusqu'ici la fonction de guide et de mentor (aussi bien auprès des autres personnages qu'auprès du lecteur), bascule enfin avec ce terrible « Balrog » dans l'abîme, l'on reste tétanisé par ce revirement du sort et par cette perte en apparence irrémédiable.

Mais qu'est-ce qu'un Balrog ??

Si la cosmogonie élaborée par Tolkien pour structurer son monde fictif de la « Terre du Milieu » intègre des éléments polythéistes (en incluant par exemple un panthéon limité de divinités de rangs secondaires capables de s'incarner et d'interagir avec le monde créé), sa vision reste influencée par la métaphysique biblique, et notamment dans sa représentation du Bien et du Mal. Tolkien oppose ainsi un être absolu incréé et à l'origine de toutes choses à une divinité déchue, en rébellion, qui s'incarne dans le monde créé et dont l'une des mécaniques principales est la corruption. Ce Morgoth Bauglir, ce « noir ennemi du monde », est ainsi une transcription assez évidente du Satan chrétien. Et celui-ci s'entoure rapidement d'entités maléfiques qu'il a corrompues ou créées, là aussi à l'image des anges déchus devenus des démons dans le corpus chrétien.

Au sein du bestiaire maudit de la Terre du Milieu se trouvent donc ces fameux Balrogs, que Tolkien nous présente ainsi dans les premières pages du Silmarillion :

« Les plus redoutables de ces créatures étaient les Valaraukar, les fléaux dévastateurs qu'en Terre du Milieu on appelait les Balrogs, les démons de la peur ».
(Dreadful among these spirits were the Valaraukar, the scourges of fire that in Middle-earth were called the Balrogs, demons of terror).
NdA : La traduction de scourges of fire en « fléaux dévastateurs » est ici assez approximative. Elle fait l'impasse sur la nature incendiaire (pourtant primordiale) des créatures, tout en omettant la notion de chatîment impliquée par le terme « scourge ». De même on remarque que les demons of terror ont été atténués en « démons de la peur ».

Plus loin, on peut lire une description plus complète :

« Il avait rassemblé ses démons à Utumno, ceux qui l'avaient suivi au temps de sa splendeur et s'étaient corrompus comme lui. Ils brûlaient comme des flammes enveloppées de ténèbres et, munis de fouets ardents, ils semaient la terreur devant eux. Plus tard, sur les Terres du Milieu, on les appela Balrogs ».
(And in Utumno he gathered his demons about him, those spirits who first adhered to him in the days of his splendour, and became most like him in his corruption: their hearts were of fire, but they were cloaked in darkness, and terror went before them; they had whips of flame. Balrogs they were named in Middle-earth in later days).

Les Balrogs sont donc des démons, de terrifiants esprits du feu armés de fouets ardents mais nimbés d'ombres, et ce contraste entre leur cœur de flammes (their hearts were of fire) et leur enveloppe ténébreuse (they were cloaked in darkness) constitue l'une de leurs caractéristiques essentielles. Ces entités sont clairement d'essence infernale, aussi bien dans leur esthétique (associées au feu et aux flammes mais aussi aux profondeurs, que ce soit celles des mines de la Moria ou de l'ancienne forteresse souterraine d'Angband) que dans leur désignation, étant appelés par deux fois des « démons » dès leur première apparition dans Le Silmarillion.

Ce n'est donc probablement pas un hasard si, à l'issue de plusieurs modifications notoires au sujet de leur nombre ou de leur origine aux travers des différentes versions de ses textes, Tolkien finit par établir que les Balrogs sont des semi-divinités déchues, et qu'ils n'ont sans doute jamais été plus de sept. Ce chiffre est aussi celui du nombre de « Princes des Enfers » dans la tradition chrétienne (Mammon, Azazel, Belzébuth, Asmodée, Belphégor, Dispater et Méphistophélès). Des Balrogs, seuls trois furent nommés par Tolkien : Gothmog/Kosomok(o), capitaine de la forteresse d'Angband, Lungorthin, chef ou seigneur Balrog, et le Fléau de Durin, surnom attribué au Balrog des mines de la Moria, et dont le véritable nom nous reste inconnu.

Les Balrogs ne sont pas que de puissantes entités spirituelles devenues maléfiques et inspirant la terreur, ce sont aussi et surtout de redoutables combattants, capables de s'incarner dans le monde physique pour se plonger au cœur des batailles. Armé de sa hache noire, Gothmog, Seigneur des Balrogs et capitaine d'Angband, parcourait ainsi les champs de bataille du Premier Age, terrassant les plus prestigieux héros elfes, tandis que le Fléau de Durin, une fois installé en Moria, y tua plusieurs seigneurs Nains. L'épée enflammée ou le fouet ardent sont deux armes qui figurent parmi leurs attributs génériques. C'est ce dernier qui est utilisé contre le magicien Gandalf au pont de Khazad-Dum pour le faire chuter. Une mise en échec réciproque qui n'est pas sans rappeler le duel funeste entre Gothmog et le héros Echtelion qui s'entre-tuèrent lors de la mise à sac d'une légendaire cité secrète des elfes au Premier Age, tandis que la chute dans l'abîme des deux protagonistes répète presque à l'identique une autre scène du Silmarillion où l'Elfe Glorfindel et un Balrog ont chuté tous les deux du haut d'un pic rocheux alors qu'ils combattaient.

Passons rapidement sur ces cas évidents de répétition dans le processus d'écriture de Tolkien pour remarquer un faisceau de convergence qui insiste auprès du lecteur sur l'extrême dangerosité des Balrogs. Ceux-ci semblent en effet si terribles que même les plus vaillants ne sauraient espérer guère mieux qu'un match nul sacrificiel en les affrontant...

L'on comprend alors mieux les lamentations de Legolas à l'approche de celui qui surgit des profondeurs de la Moria : Ai, ai, a Balrog ! A Balrog is come !

Les représentations des Balrogs

Mais à quoi ressemblent ces féroces entités issues à la fois des racines du Temps et des racines du monde ? Rappelons ici ce qu'a écrit Tolkien au sujet du Balrog de la Moria :

« Les rangs des Orques s’étaient ouverts, et ils reculaient en masse, comme effrayés eux-mêmes. Quelque chose montait derrière eux. On ne pouvait voir ce que c’était : cela ressemblait à une grande ombre, au milieu de laquelle se dressait une masse sombre, peut être une forme d’homme, mais plus grande ; et il paraissait y résider un pouvoir et une terreur, qui allaient devant elle.

Elle arriva au bord du feu et la lumière disparut comme si un nuage s'était penché dessus. Alors, d'un bond, elle sauta par-dessus la crevasse. Les flammes montèrent en ronflant pour l'accueillir et l'enlacer ; et une fumée noire tournoya dans l'air. Sa crinière flottante s'embrasa et flamboya derrière elle. De la main droite, elle tenait une lame semblable à une langue de feu perçante, de la gauche un fouet à multiples lanières.

(…) La sombre forme, ruisselante de feu, se précipita vers eux.

(…) Pendant un moment, les Orques hésitèrent, et l'ombre ardente s'arrêta.

(…) Son ennemi s'arrêta de nouveau face à lui, et l'ombre qui l'entourait s'étendait comme deux vastes ailes. Il leva le fouet, et les lanières gémirent et claquèrent. Le feu sortait de ses narines.

(…) Le Balrog ne répondit rien. Le feu parut s'éteindre en lui, mais l'obscurité grandit. La forme s'avança lentement sur le pont ; elle se redressa soudain jusqu'à une grande stature, et ses ailes s'étendirent d'un mur à l'autre ;

(…) De l'ombre, une épée rouge sortit, flamboyante.

(…) D'un bond, le Balrog sauta au milieu du pont. Son fouet tournoya en sifflant.

(…) Le Balrog tomba en avant avec un cri terrible ; son ombre plongea et disparut.»

Moins de trois cents mots ! C'est à peu près tout ce dont ont disposé plusieurs générations de lecteurs et d'illustrateurs pour tenter de représenter ce féroce Balrog, qui reste avant tout défini par un oxymore : une ombre ardente, et par la crainte qu'il inspire, autant à ses alliés de circonstances – les Orques (« il paraissait y résider un pouvoir et une terreur, qui allaient devant elle) - qu'à ses adversaires. Sa silhouette est vaguement humanoïde et de grande taille (« peut être une forme d’homme, mais plus grande ») et l'on ne sait si les ailes qui se déploient dans son sillage sont réelles, ou simplement un effet d'optique dû à l'obscurité qui l'entoure. Dans tous les cas, elles sont ici ornementales et inefficaces puisqu'elles ne l'empêchent pas de sombrer dans l'abîme. Sa dimension pyromane ne fait aucun doute :

 « Les flammes montèrent en ronflant pour l'accueillir et l'enlacer », «  Sa crinière flottante s'embrasa et flamboya derrière elle », «  La sombre forme, ruisselante de feu », « Le feu sortait de ses narines ».

Dans sa mythologie initiale, Tolkien rapprochait d'ailleurs les Balrogs des dragons primitifs, à la fois dans leur nature et dans leurs affinités, faisant même des seconds les montures des premiers :

« (…) d’autres étaient des créatures de pure flamme qui se tordaient comme des cordes de métal fondu, et ils ruinaient tout tissu dont ils s’approchaient, et le fer et la pierre fondaient devant eux et devenaient comme de l’eau, et sur ceux-ci chevauchaient des Balrogs par centaines ; et c’étaient les pires de tous les monstres que Melko conçut contre Gondolin.» (dans « La Chute de Gondolin »).

Dans ces premiers écrits, c'est donc la dimension surnaturelle du démon de feu (capable de chevaucher les fournaises mobiles que sont les premiers dragons) qui prenait le pas concernant la nature des Balrogs. Quelques décennies plus tard, dans le passage du pont de Khazad-Dûm, même s'il est décrit à plusieurs reprises comme une « ombre » ou une « forme », l'ancrage du Balrog dans le monde physique est indéniable puisqu'il porte des armes surnaturelles mais tangibles, épée et fouet, il possède des attributs biologiques tels qu'une crinière et des narines et il est également soumis aux lois de la gravité : il bondit à deux reprises dans ce passage, et chute finalement dans les profondeurs lorsque l'étroit pont de pierres cède sous lui.

On pourrait y voire une forme de contradiction, comme si Tolkien n'avait jamais pu se résoudre à trancher sur la nature véritable des Balrogs : puissants esprits du feu maléfiques, Maiars corrompus, mais aussi troupes de choc écumant les batailles du Premier Age servant à la fois d'Etat-Major et de cavalerie lourde à Morgoth. Sans doute ces considérations ne l'intéressaient pas vraiment : son écriture développait peu les ressorts psychologiques du Mal et restait très manichéenne sur la question. Dans toute son œuvre, les représentations négatives sont souvent esquissées en creux, et c'est particulièrement frappant dans le Seigneur des Anneaux, qui a fait de Sauron un tyran destructeur parmi les plus sombres et les plus absolus de la littérature de fiction, et en même temps c'est un « Grand Méchant » absent et totalement transparent, qui se définit tout entier dans un objet aussi trivial qu'une simple alliance portée au doigt (ce qui pourrait nous mener à une nouvelle étude de ce symbole surprenant, mais nous nous écarterions sans doute un peu trop de notre sujet initial). On ne connaît rien de son apparence, de ses pensées, de son environnement, de ses habitudes et le lecteur un peu curieux pourrait même se demander ce que Sauron aurait bien pu faire une fois son entreprise de conquête totale de la Terre du Milieu achevée, si ce n'est s'ennuyer à mourir jusqu'à la fin des temps au sommet de sa tour de Barad-Dûr ? C'est l'une des grandes limitations de l'oeuvre de Tolkien : le Mal n'a pas de causalité, il surgit ex-nihilo en Melkor (qui devient Morgoth) et reste sa propre cause et en même temps sa propre finalité : Morgoth est un méchant, qui agit méchamment parce qu'il est méchant. Et de lui découle toute corruption ultérieure. L'auteur se révèle ici incapable de dépasser la conception chrétienne de l'origine et de la nécessité du Mal, ainsi que des considérations parfois assez longuettes qui lui sont consacrées. C'est, avec son style d'écriture, l'un des principaux reproches que lui adressent d'ailleurs ses détracteurs.

Pour en revenir à notre sujet et aux caractéristiques du Balrog de la Moria, notons que même si à aucun moment celui-ci ne répond aux injonctions du magicien qui tente de lui barrer le passage et qui l'interpelle, nous savons qu'il est en mesure d'articuler des sons audibles qui traduisent en partie ses pensées (« Le Balrog tomba en avant avec un cri terrible »).

A partir de ces éléments de description finalement assez restreints, deux grandes écoles esthétiques ont cohabité depuis la publication de ce roman. La première est l'école que nous appellerons « bestiale », où le Balrog est souvent représenté avec une silhouette humanoïde et des attributs animaliers (tête de lion ou de minotaure, musculature imposante, cornes, pelage en divers endroits, ailes de chauve-souris) et où il semble relever d'une nature biologique, même si sa physiologie est corrompue et habitée par un antique esprit maléfique. Le second courant de représentations est plus « démoniaque » : on insiste alors sur sa dimension infernale et maléfique, sur sa stature, sur sa quasi invincibilité et sa physiologie est clairement surnaturelle, ne répondant à aucune logique biologique cohérente ou connue.

La première représentation vraiment populaire du Balrog est due aux frères Hildebrandt, qui illustrèrent une série de calendriers à grand succès dédiés à l'oeuvre de Tolkien, publiés par la maison d'édition Ballantine en 1976, 1977 et 1978.

Balrog – The Brothers Hildebrandt – Ballantine Books, 1977.

L'école bestiale bat ici son plein, avec une abondance de pelage et des ailes totalement organiques, également velues. C'est aussi l'une des représentations les plus humanoïdes que nous connaissons (les traits du visage, le détail de la main gigantesque tendue au-dessus du magicien). On notera aussi la teinte verdâtre de la créature, en harmonie avec les Orques qui la suivent, mais rompant avec la description originelle de l'auteur, de même que pour les courtes cornes - appelées à devenir un grand classique des représentations du Balrog, bien que totalement absentes chez Tolkien. Au final, le Balrog des frères Hildebrandt puise dans la tradition grecque et romaine, nous proposant une version ailée du Faune ou du Satyre, mais qui fait l'impasse sur la dimension incendiaire de l'entité originelle, dont il manque ici l'épée ardente.

L'année suivante vit la sortie du film d'animation Le Seigneur des Anneaux réalisé par Ralph Bashki. Une œuvre graphique alors ambitieuse, mais que l'on pourrait qualifier de bancale par ses choix esthétiques marqués par leur époque ou par ses raccourcis narratifs. Sa fin abrupte et inattendue réclamait un second volet, qui ne fut hélas jamais terminé, faisant de cette production une œuvre inachevée, au gran dam de ses spectateurs d'alors.

Le Seigneur des anneaux – Ralph Bashki – United Artists, 1978.

C'est là encore un Balrog bestial, avec une tête de lion, des ailes semblables à celles d'un papillon de nuit et un pelage abondant dans la partie inférieure de la silhouette, également humanoïde, au torse musclé. Sa taille reste ici limitée, en cohérence avec sa description littéraire, et il est armé d'un fouet et d'une épée de flammes. Notons que dans cette version animée, la créature ne reste pas muette puisqu'elle rugit à plusieurs reprises. Si ce Balrog bondit comme dans le roman, il atterrit sur le pont de Khazad-Dum après avoir plané dans les airs plusieurs secondes, indiquant que ses ailes ne sont pas ici purement figuratives. Ce Balrog sur grand écran fut très impressionnant pour une génération de très jeunes spectateurs (les enfants n'étaient pas en réalité le cœur de cible initial de ce film d'animation assez sombre), mais il souffre désormais de la comparaison avec le long métrage plus récent.

En effet, l'image mentale produite par l'évocation d'un Balrog est désormais généralement associée à celle de la créature créée par le studio Weta Digital pour le film cinématographique sorti sur les écrans en 2001.


Balrog, Weta Digital studio, New Line Cinema, 2001.

C'est ici l'école démoniaque qui s'impose : proportions gigantesques, cornes de bouc, fournaise intérieure ardente à la place de quelconques organes et un épiderme semblable à de la croûte de lave : craquelée et durcie en surface mais liquide et brûlante à l'intérieur. Malgré cette dimension très minérale non originelle, la créature ne s'écarte pas trop du concept de « l'ombre et de la flamme » du roman, et ses ailes semblent plus d'origine fumigène que réelles. Par contre, comme dans tout le reste de cette adaptation cinématographique d'ailleurs, la subtilité de Tolkien est définitivement abandonnée au profit d'une dimension purement spectaculaire (et dans laquelle le passé de réalisateur de films comme Bad Taste ou Braindead se fait souvent sentir). Ce Balrog est aussi fortement inspiré par le culture du jeu vidéo, du « boss de fin de niveau » très difficile à tuer, mais au détriment d'une quelconque épaisseur psychologique. Le Fléau de Durin paraît ici dénué de la moindre intelligence, ce qui bien sûr est contradictoire avec son origine d'essence semi divine (un ancien « Maia », donc censé être l'équivalent spirituel d'un Gandalf, d'un Saroumane ou d'un Sauron). Lorsque Tolkien écrit dans son roman : « Le Balrog ne répondit rien » face au magicien, l'auteur laisse entendre que c'est sans doute un choix de la part de ce puissant esprit maléfique, qui décide de se murer dans un silence qui n'en est alors que plus inquiétant. Dans le film de Jackson, le Balrog paraît incapable de comprendre ce que lui dit Gandalf, et il se montre si violent et si primitif que les Gobelins le fuient comme la peste pour ne pas être tués par erreur ou négligence sur son passage. Cette représentation de l'école esthétique démoniaque est donc affublée dans ce film d'un comportement qui, lui, reste totalement bestial.

L'inspiration de J.R.R Tolkien pour créer le Balrog

Sans surprises, et sans faire de trop longues recherches, le lecteur curieux comprend vite que c'est certainement dans l'intérêt bien connu du jeune Tolkien pour la mythologie scandinave que se trouve l'origine des « Valaraukar ». Et c'est plus précisément du côté de Surt (« Surtr » en vieux norrois, « Surtur » en anglais), géant destructeur de monde, seigneur de Muspelheim (le monde du feu), que se trouve probablement l'inspiration de ces féroces démons du feu de la Terre du Milieu.

Consultons ainsi l'ouvrage « Asgard and the Gods, the tales and traditions of our northern ancestors » publié à Londres pour la première fois en 1880. Lorsque Tolkien formalise ses premiers écrits de sa propre mythologie vers 1917 (La Chute de Gondolin), cet ouvrage britannique de mythologie nordique en est alors à sa huitième édition, à la suite de quatre décennies d'exploitation.

Dans un premier passage de l'introduction (p.5), on lit :

« (…) Cachés ou enchaînés dans les profondeurs hors de la vue, ces monstres attendent leur heure. De la même façon, le sombre Surt, avec son épée enflammée, ainsi que les fils ardents de Muspel, se sont placés en embuscade dans le chaud pays du sud. (...) ».

Il est fait référence ici à la fois aux profondeurs, à une nature monstrueuse, à un aspect sombre et à une épée ardente.

Puis plus loin, page 52 :

« (…) Au loin luisait Muspelheim, où le sombre Surt, cerné de flammes, et tenant son épée ardente à la main, attendait jusqu'ici et en vain une opportunité (...) ».

On trouve ici une description qui pourrait être celle du Balrog de la Moria : une créature sombre mais cernée de flammes, et armée d'une épée flamboyante, qui attend son heure.

Pages 56 et 57 :

« (…) Leur chef, toutefois, n'était pas Muspel, mais le sombre Surt (fumée noire), duquel brillait une langue de feu, telle une épée étincelante.».

On apprend ici que Surt signifie « fumée noire », ce qui entre en résonance avec le passage où Tolkien écrit : « Les flammes montèrent en ronflant pour l'accueillir et l'enlacer ; et une fumée noire tournoya dans l'air ». On remarque aussi que l'arme de Surt est véritablement faite de feu, et que son amalgame avec une épée se fait surtout par analogie, ce qui là encore est très proche de la description de l'auteur du Seigneur des Anneaux, qui a utilisé la même image pour son Balrog : «  De la main droite, elle tenait une lame semblable à une langue de feu perçante ».

Et enfin, page 301 :


« (…)Et maintenant Surt, le sombre, le terrible, commença à se dresser. Il grandit encore et encore, jusqu'à gagner les cieux.

Le Feu était devant lui et derrière lui, et son épée flamboyante brillait dans l'obscurité dans laquelle il était enveloppée. (...) ».

Là encore, ce passage présente des similitudes avec celui de Tolkien où « la forme s'avança lentement sur le pont ; elle se redressa soudain jusqu'à une grande stature, et ses ailes s'étendirent d'un mur à l'autre;(...) », qui donne l'impression que la créature a subitement la possibilité de croître jusqu'à occuper tout l'espace des cavités majestueuses autrefois creusées par les Nains.

 

Le sombre Surt, armé de son épée flamboyante, au cœur de Muspelheim, le monde du feu.

Et pour ceux qui se poseraient la question de savoir si Tolkien a eu effectivement l'occasion de lire ce livre en particulier, notons cette illustration en page 16 :


Si elle n'a rien à voir avec les Balrogs, il est difficile de ne pas faire le rapprochement entre cette rivière coulant dans une gorge, surplombée par deux grands rochers de forme humanoïde, et dont l'un semble tendre le bras avec une main en opposition, et le mythique monument rocheux de « l'Argonath » décrit par Tolkien dans la fin de son premier volume. Cet ouvrage, réédité plusieurs fois, fut sans doute l'une des lectures de jeunesse de Tolkien, et on imagine aisément, en ces temps où la vie quotidienne en milieu rural ne comptait encore souvent ni électricité courante, ni radio, à quel point la lecture des exploits illustrés de ces Dieux nordiques se battant à mort lors du Ragnarok a pu fasciner un esprit aussi curieux et aussi imaginatif que celui du très jeune John Ronald Reuel.

(Article à suivre : les Balrogs en figurines)

vendredi 20 octobre 2023

Les Balrogs en figurines

Même si le Seigneur des Anneaux fut initialement publié à partir de 1954, c'est le tournant des années 1960 à 1970 qui marqua le début de sa diffusion grand public (il fallut attendre 1972 pour une première traduction française). Les lecteurs découvrirent aussi au cours de cette décennie les premières représentations visuelles tirées du roman sur grand écran, ou au travers de calendriers illustrés. Enfin, les années 70 ont aussi favorisé la naissance d'une nouvelle industrie du loisir : celle de la figurine fantastique destinée aux jeux de rôle, aux jeux de plateaux ou au jeux de guerre. Jusqu'alors, les soldats de plomb concernaient les amateurs d'Histoire ou de tradition militaire. C'est en adaptant des règles de jeux de guerre (wargames) à une dimension individuelle de quête personnelle, et en y ajoutant des éléments surnaturels propres à la Fantasy (magie, monstres et créatures, races non humaines) que fut inventé le jeu de rôle, dont le plus célèbre des précurseurs fut « Donjons & Dragons », en 1974. Ce nouveau loisir créa un besoin de représentation matérielle des différents personnages que l'on y rencontre (et qui viennent remplacer les pions dans les jeux traditionnels). Et bien sûr, l'oeuvre monumentale de Tolkien fut au départ l'une des principales source d'inspiration de cette nouvelle industrie, qui se développait en même temps que le succès grand public du livre. Des centaines de milliers de magiciens, guerriers, Elfes, Nains et Orques en plomb allaient bientôt déferler sur les tables de jeu. Sans oublier quelques Balrogs !

Les années 70 virent ainsi la commercialisation de plusieurs modèles de Balrogs - plus ou moins réussis - par quelques fabricants pionniers, avant que l'industrie de la figurine ne prenne son envol au cours des années 80 et que le grand démon ailé armé d'un fouet ardent et d'une épée ne devienne un classique indémodable du secteur.

Les modèles Miniature Figurines (Minifigs)

La plus ancienne figurine de Balrog portée à ma connaissance fut celle des britanniques de Miniature Figurines Ltd, une société fondée en 1965 à Southampton et propriétaire de la marque commerciale « Minifigs », dont l'essentiel du catalogue était destiné aux joueurs historiques. Ce modèle est daté de 1973 et fut diffusé au travers de la gamme fantastique 25 mm « Mythical Earth ».

Extraits du catalogue, gamme Mythical Earth, Miniature Figurines, 1975

 

On remarquera la proximité phonétique et contextuelle de celle-ci avec le « Middle-Earth » de Tolkien, ce qui n'était pas un hasard, cette ligne de figurines reprenant de nombreuses références lexicales spécifiques à l'auteur (Gondor, Rohan, Ithilien, Harad, etc) et comportait notamment un « magicien » et des « Hobbits ». Même si elle ne fut pas produite sous licence officielle, la gamme Mythical Earth fut donc la première ligne de figurines fantastiques directement inspirée du Seigneur des Anneaux.Extraits du catalogue, gamme Mythical Earth, Miniature Figurines, 1975.

La production de figurines fantastique n'était alors encore qu'un artisanat, avec un niveau technique de sculpture encore peu mature (les sculpteurs utilisaient de l'étain de soudure qui était ensuite retaillé, ou de l'argile synthétique, pour créer leur pièce originale et la plupart des sculpteurs étaient encore des transfuges du secteur historique, aux poses militaires plus figées).

 

Balrog, référence ME30, Minifigs, 1973

Ce Balrog produit par Minifigs peut être rattaché à l'école bestiale, avec une tête léonine, et ce qui ressemble à du pelage ou des flammes, ou un pelage enflammé, sur l'ensemble de sa silhouette humanoïde.

Si beaucoup pensent que nous restons là assez éloigné du féroce « démon de l'ancien monde » décrit par Tolkien( voir même assez proche du lion peureux du Magicien d'Oz), notons tout de même qu'au-delà de ses limitations techniques, cette figurine reste dans l'esprit de la description minimaliste de l'auteur : une silhouette humanoïde assez floue et potentiellement enflammée, une crinière, des naseaux, un fouet et une épée. Et elle évite l'écueil des cornes ou des sabots de bouc jamais décrits par Tolkien. Fait notable, ce Balrog est aussi dépourvu d'ailes (et ce fut sans doute le seul dans ce cas de toute l'histoire du loisir d'ailleurs).

Demon typ VI, référence DD5, Minifigs, circa 1975

La même société produisit deux ou trois ans plus tard une figurine de démon ailé armé d'un fouet et d'une épée. Diffusé sous la référence DD5, ce nouveau modèle était alors destiné à la gamme « Donjons & Dragons » pour y représenter un démon de « type VI ». En jetant un œil sur le livre de règles de ce premier jeu de rôle grand public, on comprenait vite que ceux-ci étaient directement inspirés du Barlog de Tolkien :

« Leurs armes favorites sont une énorme épée +1 et un chat à neuf queues, ce dernier étant utilisé pour entraîner l’adversaire dans les flammes que ces démons sont capables de générer autour d’eux ».

 

Outre-atlantique, deux sociétés pionnières allaient alors reprendre le flambeau des pionniers britanniques pour dynamiser le marché naissant mais florissant de la figurine fantastique : Custom Cast, établie par Duke Seifried dans l'Ohio en 1972 (sur la base d'une activité de production de figurines historiques nommée « Der Kriegspielers » et remontant aux années 50), et Heritage Models, fondée par Jim Oden à Dallas au début des années 70.

 

Le modèle Custom Cast

 

Gamme de figurine « Der Kriegspielers Fantastiques », circa 1978

Duke Seifried rencontra J.R.R. Tolkien en Angleterre à la fin des années 60, qu'il sollicita au cours d'un voyage d'affaires. Il proposa à l'auteur de sculpter des figurines inspirées du Seigneur des Anneaux pour les enfants de celui-ci (Christopher et Priscilla).

Si le professeur, décédé à l'automne 1973, n'eut pas l'occasion de voir le résultat, Seifried vendit ensuite 10 000 exemplaires du blister de la « Communauté de l'Anneau » qu'il proposa en 1974 dans sa gamme « Fantastiques », sous la référence 1057. Et comme on peut le voir dans la publicité, cette gamme de figurines allait bientôt offrir s'étoffer d'un imposant Balrog, référence 1086.

 

Balrog, référence 1086, Custom Cast, circa 1976
L'interprétation faite par le sculpteur est ici plutôt singulière, s'écartant à la fois de la description romanesque et de la représentation démoniaque classique.

Ce Balrog tire plus sur le Troll ailé, et sans que l'on puisse vraiment identifier l'efet recherché par l'apparence grumeleuse de l'épiderme (des petites bulles de lave ? De simples pustules ?). 

 

 

Les figurines Heritage Models

 

Balrogs, référence 1309, Heritage Models, 1976

La société texane Heritage Models produisit de son côté en 1976 une série de Balrogs vendus en blister de quatre. Ressemblant plutôt à des gargouilles dotées de petites ailes, ces Balrogs étaient toutefois armés de fouets et d'épées.

Heritage Models intégra ensuite l'activité de Custom Cast en 1977 et Seifried vint s'installer au Texas (c'est ainsi qu'on retrouve des références « Der Kriegspielers » au sein de la marque Heritage après cette date).


 
La sortie du film d'animation de Ralph Bashki permit ensuite à la marque texane d'obtenir une licence officielle pour commercialiser une vaste gamme de figurines dédiées au Seigneur des Aneaux à partir de 1978.

Parmi celles-ci se trouvait une nouvelle représentation du Balrog, réalisée cette fois dans l'esprit du film d'animation, mais uniquement disponible via un coffret nommé « Les Mines de la Moria ».

Le Balrog de ce coffret est un modèle de dimension réduite (d'une hauteur équivalente à celle d'une figurine standard), et peinant à reproduire fidèlement les caractéristiques du Balrog de Bashki : le corps est entièrement velu, le torse moins musclé et la tête moins léonine.

 

Mines of Moria, boîte référence 3000, Heritage, 1978


Balrog, boîte référence 3000, Heritage, 1978


Cette figurine fut remplacée à l'été 1980 par un nouveau modèle, référence 1765. Peut-être frustré par la modestie du précédent modèle, le sculpteur travailla cette fois sur un modèle plus imposant : 110 grammes une fois les ailes assemblées, et culminant à 75 mm de hauteur. Inspiré de l'école bestiale, avec des ailes plus classiques de chauve-souris et légèrement plus humanoïde, la figurine conserve toutefois une sculpture assez fouillie, et une pose plutôt figée.

 

Balrog, référence 1765, Heritage, 1980

 
Cette figurine fut ensuite rééditée, sous la référence 4000, par la société Texas Miniatures (qui reprit une partie des moules Heritage à leur cessation d'activité en 1983).
NdA : Les moules originaux de ces modèles de Balrogs appartiennent aujourd'hui à un amateur passionné de l'Arizona. Celui-ci réalise de petites séries à la demande (uniquement sur son temps libre, qui reste très limité), et que le lecteur pourra contacter via le site « Classic Miniatures » (classiminiatures.net).

 

Les deux modèles de notre collection sont issus de ses ateliers, et nous en profitons pour remercier encore ici Michael pour sa gentillesse et sa disponibilité à nous fournir ces pièces introuvables en Europe.

Balrogs, Heritage Models, 1978-1980
 
 

Les modèles Ral Partha

 

Tom Meier (à g.) et Dennis Mize 
Comme souvent, c'est par la rencontre d'une personnalité iconoclaste et d'une innovation technique que se produisit alors une première révolution dans le monde de la figurine fantastique.

L'agent du changement se nomme Tom Meier. A quinze ans seulement ce jeune passionné était déjà sculpteur de figurines en free-lance, avant de participer à la fondation de la société Ral Partha à Cincinnati aux USA en 1976, alors qu'il n'avait même pas vingt ans.


 

A la suite d'un malentendu, Tom Meier fut le premier à utiliser de la résine epoxy bi-composant pour sculpter des figurines entières, un matériau que tous les modélistes et collectionneurs connaissent désormais sous le nom de « green stuff » et qui est devenu un incontournable du loisir. A l'époque, les propriétés plastiques spécifiques de ce nouveau medium de sculpture, associée à son imagination débridée, permirent à Tom Meier de proposer des figurines au style détonant et au dynamisme inédit, ou encore d'atteindre un niveau de détail jusqu'alors impossible, comme dans la représentation des anneaux des cottes de mailles, par exemple.

Concernant les Balrogs chez Ral Partha, un premier modèle fut produit en 1976 sous la référence 01-003.

Balrog, référence 01-003, premier modèle, Ral Partha, 1976

 

Une représentation de l'école bestiale, assez humanoïde, qui semble hésiter entre la gargouille et l'Orque ailé, et qui reste éloignée d'un terrible démon de feu, même si le fouet et l'épée sont bien présents.

Sa posture est moins statique que le standard de l'époque, avec une flexion des jambes, une expression faciale et un écartement des bras qui offre un début de dynamisme. Le niveau de détail reste toutefois limité et la figurine assez plate (moulage d'une seule pièce dans un seul plan oblige). On note que son entre-jambe est vide et lisse, un détail anatomique qui va vite prendre ton son sens avec le modèle suivant.

Balrog, référence 01-003, second modèle, Ral Partha, 1979

Ce Balrog de l'école démoniaque à la virilité exhubérante remplaça le modèle précédent, sous la même référence. Mais c'est par ses lignes torturées et nerveuses et grâce à sa posture très dynamique que ce modèle marque une rupture par rapport aux standards de l'époque. Avec cette sculpture, Meier s'approprie l'aspect tri-dimensionnel de l'instantané : la figurine orientée de trois-quarts, le bras levé, les lanières du fouet en suspens, une jambe fléchie l'autre tendue, une épée négligemment posée au sol, des flammèches qui s'élèvent de la crinière. Le jeune sculpteur gomme enfin l'héritage lisse et figé de la figurine militaire qui pesait encore sur le secteur, ajoutant même un brin d'humour potache, et propulse ainsi le loisir dans les années 80, où l'originalité et le second degré seront souvent recherchés.

 

 

Plus prude (mais guère moins ridicule), une version « string » de cette seconde sculpture fut aussi proposée, sans doute à destination du marché U.S. où une classification « PG » (contrôle parental) peut vite s'avérer funeste pour un produit avant tout destiné à la jeunesse.

Il existe même une troisième variation de ce modèle, toujours « au naturel », mais avec un faciès différent, plus proche de la chauve-souris, et un membre viril moins détaillé, moins exubérant.

 

Balrog, référence 01-003, seconde et troisième variantes du second modèle

Balrog, référence 01-003, troisième variante du second modèle
 

Ce Balrog de Meier fut ensuite réédité sous la désignation « Balrog unleashed » (référence 19-081) en 1995, au sein de la gamme commémorative « Remembered » saluant les 20 ans de la marque Ral Partha.


Balrog Unleashed, référence 19-081, seconde variante, Ral Partha, 1995.

 

Un classique donc, qui, au travers de ses différentes variantes et de sa présence au catalogue jusqu'à la fin de la marque, marqua très certainement son époque.

 

Balrog, de John Blanche, in Warhammer Fantasy Battles, 2nd Edition, 1984


La paire d'ailes qui équipait cette figurine fut rapidement réutilisée pour un autre modèle de Balrog, dit « armored » en raison de sa cotte de mailles. Celui-ci fut proposé sous la reference 01-081 au sein de la même gamme (dont le nom complet était « Personalities and Things that go Bump in the Night »).

Cette fois, la conformation des membres postérieurs, la posture voûtée et la tête chevaline faisaient plus pencher cette représentation du côté de l'école bestiale.

Armored Balrog, référence 01-081, Ral Partha, 1979

(Notons qu'il exista aussi une légère variante de ce modèle, de dimension assez modeste, avec le fouet collé au bras gauche, et que ma figurine ici présentée est équipée d'une épée plastique pour remplacer l'originale manquante).

On retrouvait encore cette paire d'ailes, en triple exemplaire cette fois, dans la boîte Ral Partha « The Black Prince's Chariot of Fear » (référence 01-127). 

 

The Black Prince's Chariot of Fear, coffret référence 01-127, Ral Partha, 1984

 

Une nouvelle création exhubérante de Tom Meier de 1984, dans laquelle deux Balrogs tirent le char de combat aux roues enflammées d'un certain « Prince Noir », véhicule lui-même constitué d'un vaste bouclier porté par un troisième Balrog en position accroupie ! Sans doute une référence (lointaine) aux combats du Premier Age décrits par Tolkien, dans lesquelles les Balrogs (fort nombreux) officiaient comme capitaines d'armée ou gardes rapprochés de Morgoth, le « noir ennemi du monde ». On retrouve en partie le style du Balrog précédent dans ces modèles aux traits nerveux, tout en notant encore une fois le dynamisme des poses des trois différents Balrogs.

Balrog 1, composant du coffret référence 01-127, Ral Partha, 1984


Balrog 2, composant du coffret référence 01-127, Ral Partha, 1984


Balrog 3, composant du coffret référence 01-127, Ral Partha, 1984

Cet ensemble est toujours disponible à l'achat de nos jours (sous la même référence) via le catalogue du fabricant Iron Wind Metals de Cincinnati, ou via leur filiale commerciale « Ral Partha Legacy ».

Black Prince's Chariot of Fear, référence 01-127, Iron Wind Metals.

Black Prince's Chariot of Fear, référence 98-0746, Ral Partha Legacy.

(Le modéliste averti notera toutefois qu'il s'agit d'un coffret à l'échelle 25mm, et non 28mm).

Visiblement jamais à court d'inspiration en matière de Balrogs, Meier sculpta dès l'année suivante, à l'occasion du dixième anniversaire de Ral Partha, un « seigneur des Balrogs » dénommé « Ral », également vendu en coffret.

« Ral » Lord of the Balrogs, boîte référence 10-412, Ral Partha, 1985

Celui-ci proposait encore une fois une approche assez déjantée et radicale du concept : une créature au corps humanoïde mais à tête enflammée de saurien à la gueule grande ouverte, se tenant dans une posture de défi hystérique face à ses potentiels adversaires. Pour le modéliste, cette grande figurine (les ailes culminent à 12 cm de hauteur et la figurine assemblée pèse plus de 130 grammes) a le mérite de s'assembler facilement à l'aide de seulement 4 pièces différentes.

 



A l'instar du char de combat du Prince Noir, cette figurine existe toujours dans la gamme Iron Wind Metals, mais cette fois sous l'appellation « Ral, Lord of the (Underworld) Fire Demons », absence de droits de licence oblige, et est désormais proposée en blister, avec une référence identique.

RAL, Lord of the Underworld Fire Demons, blister référence 10-412, Iron Wind Metals.


Reprenant le flambeau de Meier, c'est la sculptrice Julie Guthrie qui travailla ensuite sur un nouveau modèle de Balrog pour étoffer la gamme Ral Partha. Si la taille de cette nouvelle figurine était assez limitée, celle-ci bénéficiait d'une grande finesse de sculpture, l'une des caractéristiques du style Guthrie. Un Barlog très marqué par l'école bestiale, à tête quasi lupine avec une peau et des ailes écailleuses et une posture extrêmement réaliste. Cette figurine datée 1991 fut initalement commercialisée sous le nom Balrog, référence 02-967 au sein de la gamme « All Things Dark and Dangerous ».

Balrog, référence 02-967, Ral Partha, 1991

Cette figurine est désormais disponible sous la référence 51-0773 et le nom « Greater Demon III » chez Ral Partha Legacy, ou sous la référence DF-229 et sous le nom « Balefire Demon with sword » chez Iron Wind Metals.

Balefire Demon with sword, référence DF-229, Iron Wind Metals.

Greater Demon III, référence 51-0773, Ral Partha Legacy.

On notera que Guthrie avait déjà sculpté un autre modèle de démon ailé au sein de la même gamme. Dénué de fouet et intialement nommé « Seigneur Démon », c'est une créature démoniaque plus classique et plus martiale, mais qui s'inspire tout de même du Balrog avec son épée ardente.

Demon Lord, référence 02-954, Ral Partha, 1988


Ce modèle est d'ailleurs maintenant disponible sous l'appellation « Balefire Demon » et la référence DF-201 chez Iron Wind Metals, après avoir été proposé en blister RP-095 sous le nom « Underworld Fire Demon », et on le trouve également chez Ral Partha Legacy sous la référence 51-0774 et la désignation « Greater Demon IV ».

 

Balefire Demon, référence DF-201, Iron Wind Metals.

Greater Demon IV, référence 51-0774, Ral Partha Legacy.

La gamme All Things Dark and Dangerous se vit ensuite adjoindre un nouveau modèle inspiré du Balrog avec un blister de trois figurines nommé « Seigneurs du Feu », et comprenant notamment un démon de feu ailé armé d'un fouet et d'une épée et jaillissant d'une flamme.

Fire Lords, référence 02-514, Ral Partha, 1995

Bien que méconnu, ce modèle signé Jeff Grace est l'une des rares figurines produites qui respecte les principaux critères qui permettent de définir littéralement le Balrog, en insistant notamment sur sa dimension originelle d'esprit de feu, que beaucoup de sculpteurs ont délaissé au profit de l'école bestiale ou pour mettre en avant des attributs classiques de l'école démoniaque (cornes et sabots de bouc par exemple, que Tolkien n'a jamais décrit).

Ce blister incluait également à l'origine un « élémentaliste » (sorcier maître d'un élément, ici le feu) déjà commercialisé sous la référence RP-364, ainsi qu'un démon mineur brandissant un cobra (!), une figurine sans doute elle aussi extraite du catalogue déjà existant.

Ces trois figurines se trouvent désormais séparément au sein de la gamme Direct Fantasy chez Iron Wind Metals, sous les références DF-600 à DF-602.

Fire Demon with sword, référence DF-601, Iron Wind Metals.

Alors que le fonds de figurines Ral Partha avait été racheté par la société FASA de Chicago en 1998, apparut dans la dernière édition du catalogue papier Ral Partha (daté de 2000) un autre modèle que l'on peut assimiler à un Balrog. 

 

Fallen Angel, référence 01-191, Ral Partha, 1999

 
Celui-ci étant un démon humanoïde ailé, armé d'une épée enflammée et d'un fouet. Initialement diffusée sous la référence 01-191 au sein de la gamme « Personalities » et appelée « l'Ange déchu », sans doute en clin d'oeil direct au folkore de Tolkien au sujet des Maiar corrompus, cette représentation de l'école démoniaque mélangeait des traits de visages très humains à des caractéristiques reptiliennes dans une posture assez dynamique, et avec une belle finesse de sculpture, signée Dennis Mize.

Ce modèle est lui aussi désormais proposé par Iron Wind Metals avec une référence inchangée.

Fallen Angel, référence 01-191, Iron Wind Metals.

Enfin, pour clore le sujet des figurines diffusée sous label Ral Partha, notons la référence 01-201, cette fois non équivoque puisque nommée "Balrog Demon" et datée de 2001. Une belle pièce, ailée et dûment armée d'un fouet et d'une épée flamboyante.

La société Ral Partha n'existe déjà plus à cette époque, et après un court épisode FASA, c'est la société Iron Wind Metals qui a racheté le fond de catalogue (on peut ainsi retrouver ses coordonnées au dos de ce blister).

Droit de licence oblige, le modèle fut renommé  « Démon de feu et d'obscurité », en conservant sa référence 01-201, pour être proposée sous blister IWM.


Demon of Fire and Darkness (Fire Demon), référence 01-201, Iron Wind Metals, 2001.


C'est le modèle le plus humanoïde porté à ma connaissance, avec de nombreux éléments vestimentaires ou d'armure, des pieds et non des sabots, ainsi qu'un faciès aux oreilles pointues (qui se rapproche de l'idée que les Orques sont à l'origine des Elfes dénaturés, et par extension que toutes les créatures de Morgoth seraient d'une certaine façon des formes corrompues de la Création originelle). Une figurine qui pourrait tout-à-fait être une interprétation de Gothmog, le seigneur des Balrogs du Premier Age et capitaine militaire de la forteresse d'Angband.

 

Les modèles Grenadier

 

L'autre grand fabricant nord américain du tournant des années 70 à 80 était la marque Grenadier Models, fondée en 1975 en Pennsylvanie.

Elle compta jusqu'à quarante collaborateurs et vendit plus de 6 millions de figurines à travers le monde en vingt années d'existence. 

Le lancement de la gamme « Wizards and Warriors » en 1976 fut l'occasion de sortir un premier modèle de « Démon de feu » dans un blister accompagné de trois « spectres » sous la référence W28.

 

Demons and Wraiths, référence W28, Grenadier Models, 1976.



Demon, référence W28, Grenadier Models, 1976


La sculpture peu détaillée et la pose relativement figée restent alors typiques des productions de cette période tandis que l'interprétation est cent pour cent bestiale, avec un faciès simiesque sur un torse musclé et un bas du corps entièrement velu et des sabots aux membres inférieurs.

 Une nouvelle version de cette figurine fut ensuite proposée dans un premier coffret incluant divers monstres de la même gamme, sous la référence WW002.

Deux ans plus tard, l'acquisition des droits de licence « Donjons et Dragons » offrit l'occasion à la marque de proposer de nouveau l'ensemble sous la référence 5002, mais toujours avec la même illustration, et dans lequel la figurine était toujours nommée « Démon » pour coller au bestiaire officiel de ce jeu de rôle.



Boîtes référence WW02 et 5002, Grenadier Models, 1978 et 1980.

Le démon ailé armé d'un fouet et d'une épée figure en vedette sur l'illustration de ces deux boîtes. Il mène plusieurs gobelins en armes dans un réseau de galleries souterraines en pierres de taille, une représentation évidemment inspirée du chapitre de Tolkien sur le Pont de Khazad-Dum (et au moment judicieux où le film d'animation de Bashki sortait sur les écrans).

Ces conditionnements alternatifs au blister d'origine permirent aussi à Grenadier de faire évoluer la sculpture et de proposer deux variantes du modèle avec le bras droit levé, et dans une posture moins voûtée, mais de dimension nettement réduite. Les principales différences entre les deux versions avec bras levé étant la forme du socle (ovale ou carré), la position du fouet (sur le genou ou en travers du ventre) et la forme de la garde de l'épée (droite ou étoilée).

 

 

Variantes du « Démon », Grenadier Models, 1976 à 1980.

Le modèle original de 1976 est toujours disponible à la vente et aujourd'hui, et désormais proposé par le fabricant italien Mirliton, qui a racheté une grande partie des moules Grenadier, et qui le vend sous la référence DL006, en blister de deux « Monstres ».

Après le tournant des années 80, Grenadier Models commercialisa une nouvelle gamme de figurines fantastique sous le nom de « Fantasy Lords », très diffusée et dont on trouve encore des figurines sous blister de nos jours.

Cette ligne accueillit en 1983 une très belle figurine de Balrog de l'école bestiale, sous l'appellation « Armored Balrog » (et qui sera rééditée plus tard au sein de la gamme « Fantasy Classics » sous la référence 323).


Armored Balrog, référence 179, Grenadier Models, 1983

 

Le choix de replier les ailes au-dessus de la tête dans un même plan fut contraint par la technique de moulage de cette pièce monobloc, mais cela la distingue des représentations habituelles ailes écartées, le reste de la sculpture étant à la fois sobre et dynamique. Si la tête de ce Balrog hésite entre le lion et le gorille, celui-ci affiche une queue qui est bien celle d'un lion, et son côté bestial est contre-balancé par une cuirasse et un bouclier d'inspiration antique tandis que la sculpture d'épée enflammée est de belle qualité.

Mirliton vend toujours ce modèle de nos jours, sous la référence CH019 et sous un nom inchangé.

La même année, une figurine référence 060 au nom de « Mutated Troll » (Troll mutant sur les blisters en français) fut proposée dans la même gamme.

Sa paire d'ailes et sa hache nous ont semblé un excellent choix pour en faire une rapide conversion en Gothmog, capitaine de la forteresse d'Angband (en changeant simplement la tête de sa hache pour un modèle à double lames).

 

« Gothmog arriva, le Grand Capitaine d'Angband, il s'enfonça comme un coin entre les armées des Elfes, encerclant le Roi Fingon et rejetant Turgon et Húrin vers le marais de Serech. Puis il se tourna vers Fingon, et la rencontre fut rude. A la fin, Fingon se retrouva seul, tous ses gardes morts autour de lui, à combattre avec Gothmog. Alors un autre Balrog vint par-derrière, lui lança comme une lanière de feu, et Gothmog l'abattit d'un coup de sa hache noire. »

Le Silmarillion – Quenta Silmarillion – Chapitre Vingt.

Gothmog, capitaine d''Angband. D'après Mutated Troll, référence 060, Grenadier Models, 1983.

La gamme Fantasy Lords s'étoffa en 1985 d'un nouveau modèle de Balrog référence 510, aussi de l'école bestiale, toujours avec des traits assez simiesques et une présence de quelques éléments de pelage. 

Elle fut d'abord proposée avec un premier modèle d'épée enflammée et portant un pendentif, puis dans une nouvelle version avec une épée simplifiée, et sans le pendentif.


Balrog, référence 510, première et seconde variante, Grenadier Models, 1985.


C'est cette version qui fut incluse dans le coffret sous licence nommé « Sauron's Dark Ones ». Celui-ci contenait neuf figurines : le Balrog, un spectre des Galgals, un Troll noir, un capitaine Orque, Saroumane, Gollum, un Warg, un Nazgûl et un énigmatique « Vampire des montagnes ».

Peut-être une référence à Thuringwethil, le serviteur de Sauron à l'époque du Premier Age... ?

Sauron's Dark Ones, coffret référence 7502

Cette figurine de Balrog est désormais disponible via le catalogue Mirliton, sous l'appellation « Demon lord » référence CH016, mais dans une troisème variante équipée d'une cotte de mailles.

 

  

Demon Lord, référence CH016, Mirliton SG, date inconnue.


Quelques années plus tard, c'est par le biais du sculpteur Bob Naismith, crédité pour avoir créé le tout premier modèle de Space Marine chez Citadel (entre autres) et travaillant alors en freelance, que la marque ajouta une nouvelle référence de Balrog à son offre.

Elle était proposée pour le jeu de batailles Fantasy Warriors écrit en 1990 par Nick Lund, lui aussi un transfuge de Citadel.

The Fiend, référence 5350, Grenadier Models, 1992

 
Initialement nommé « The Fiend » (le Démon, l'Ennemi, au sens satanique), sa sculpture singulière la rend inquiétante, presque dérangeante, ce qui est sans doute un compliment pour une représentation de Balrog, et l'on ne sait s'il faut la classer dans la catégorie démoniaque ou bestiale.

C'est aussi un modèle imposant et lourd, dont le sommet de la tête culmine à 90 mm et dont les huit pièces à assembler pèsent presque 200 grammes. Colle epoxy et tiges d'acier sont ici nécessaires pour assembler durablement cette figurine. Les collectionneurs trouveront maintenant ce modèle chez les italiens de Mirliton.


Balrog, coffret référence CR001, Mirliton SG

 

Puisque nous venons d'évoquer les créateurs britanniques Naismith et Lund, il est temps de s'intéresser aux Balrogs produits de ce côté-ci de l'Atlantique. Si Minifigs, fondée en 1964, s'était affiché comme fabricant précurseur au Royaume-Uni, il faudra attendre la fin des années 70 et le tournant des années 80 pour voir les britanniques pénétrer durablement, puis dominer le marché de la figurine fantastique. 

 

Le modèle Asgard Miniatures

Fondée en 1976 (par un trio qui comptait notamment Bryan Ansell), Asgard produisit un Balrog sous la référénce FM53 au sein de sa gamme Fantasy Monsters.

Balrog, référence FM53, Asgard Miniatures, date inconnue.

Cette sculpture signée Nick Bibby nous offre un modèle de l'école démoniaque « au naturel » - plus mesuré toutefois que la version de Tom Meier - et doté d'une paire d'ailes assez massives, ce qui ne facilite pas son équilibrage. La fluidité de la silhouette humanoïde très inspirée par la notion « d'esprit de feu » et la posture très martiale le distinguent du reste des représentations.

 

 

Ce modèle peut se trouver aujourd'hui au sein du catalogue de la marque Alternative Armies, sous la même référence, au sein d'une offre reprenant une partie des moules Asgard et simplement nommée « Classic Asgard Fantasy ».

 


Les modèles Citadel

Bryan Ansell quitta ensuite rapidement Asgard Miniatures en 1978 pour fonder la marque Citadel Miniatures. Le rejoindront bientôt d'autres sculpteurs transfuges d'Asgard, comme Nick Bibby, Tony Ackland ou Jes Goodwin. La marque proposa un premier modèle inspiré du Balrog en 1982 au sein de sa gamme Fiend Factory.

Winged Demon with sword and whip, référence FF5, Citadel, 1982


Ce modèle bestial très réussi, à la pose à la fois simple et irradiant d'une sourde menace, sera repris en 1983 dans la série C, au sein du lot C31 nommé « Giant Monsters », cette fois sous la désignation « Balrog » et sous la référence GM-05.

A la suite de convolutions juridiques de distribution, cette figurine se retrouva également au sein du catalogue Ral Partha au milieu des années 80 (mais sous sa désignation et sa référence initiale).

L'année suivante, Tony Ackland proposa sans doute le modèle le plus incongru de Balrog fabriqué à ce jour. Nommé « Golgoth, puissant seigneur des Balrogs », ce kit - imposant pour l'époque - proposait un modèle de la plus pure école bestiale, sorte de chat-garou aux ailes de chauve-souris, à queue de serpent et dard de scorpion (!).

Golgoth, Mighty Lord of Balrogs, référence TA1, Citadel, 1984

Ici, l'école bestiale dominait tellement que le modèle est dépourvu de ses armes emblématiques, et doit se contenter de ses griffes, tandis que toute référence au « démon de feu » de Tolkien est passé aux oubliettes. Il faut bien avouer que c'est là un modèle assez improbable et qui, en dehors de son nom emblématique, n'a que peu de rapport avec la création de Tolkien...

Ce modèle dispensable fut rapidement remplacé par un autre, toujours signé Ackland et nommé en toute modestie « A'angor, le Balrog gigantesque, pourfendeur de dieux, démon majeur des plus profonds abysses de l'enfer», et diffusé sous la même référence. Même si sa sculpture était moins ridicule, les réserves restent globalement les mêmes que pour le modèle précédent.

Poursuivant dans son exploration de l'inattendu, Citadel proposa l'année suivante une nouvelle déclinaison de démon de feu au sein de sa série C, dont la conception fut confiée à Nick Bibby.

Winged Fire Demon, référence C29, Citadel, 1985

Après son Balrog démoniaque et martial chez Asgard, brandissant haut son épée, le sculpteur proposait ici une version plus bestiale, et de toutes évidences beaucoup plus lasse.

Comme si le vieux démon multi-millénaire était désormais perclus d'arthrose, marchant voûté, la tête basse, traînant à grand-peine son fouet et peinant à brandir son épée ardente. Une proposition assez singulière.

La même année, Citadel obtint les droits de franchise du Seigneur des Anneaux, ce qui permit à la marque britannique de produire une large gamme de figurines dédiées pendant deux ans (avant qu'une toute jeune filiale de Prince August nommée Mithril Miniatures n'achète les droits exclusifs en 1988). 

Cette gamme Citadel dédiée à l'oeuvre de Tolkien proposa trois coffrets référencés BME1 à BME3 : un set de dix figurines représentant la Commuauté de l'Anneau (incluant un modèle pour le poney Bill), un set comportant deux Nazguls, l'un à pied, l'autre monté sur créature volante, et enfin une grande boîte nommée « Rencontre à Khazad-Dum » qui incluait un imposant Balrog faisant face aux personnages de Gandalf, Aragorn et Boromir.

Encounter at Khazad-Dum, référence BME3, Citadel, 1987

En 1990, j'avais lu récemment le Seigneur des Anneaux pour la première fois et - on le comprendra aisément au vu de la longeur de cette article dédié aux Balrogs - lorsque j'ai découvert dans un catalogue de vente par correspondance la ligne relative à cette boîte de figurines, lue et relue des dizaines de fois, il fut difficile de me l'ôter de l'esprit. Comme toujours avec Citadel, son prix était assez exorbitant : 230 francs si ma mémoire est bonne (nous étions une fratrie de quatre, seul mon père travaillait et les cadeaux à plus de 150 francs étaient généralement réservés aux grandes occasions comme Noël ou les anniversaires). Je ne savais même pas à quoi ce kit ressemblait, le catalogue ne contenait pas de photo détaillée, peut-être une vignette minsucule en noir et blanc, et à l'époque Internet n'existait pas. L'achat par correspondance d'après catalogue papier avec un délai de livraison de 2 à 4 semaines restait la norme pour tout achat spécialisé non disponible dans les magasins locaux. Mais rien que de savoir que cette boîte de figurines contenait un Balrog et les principaux héros du chapitre relatif au pont de Khazad-Dum qui m'avait tant frappé lors de ma lecture suffisait à nourrir un désir obsessionnel à son sujet.

Le Destin étant ce qu'il est, je me suis blessé grièvement au début de cet été là. Double fracture du tibia et péroné avec arrachement du cartilage de la cheville. Plus de cinquantes jours de plâtre et de béquilles sans poser le pied par terre. En guise de lot de consolation (?), mes parents ont consenti à m'acheter ce kit. Trente-trois ans plus tard, j'ai toujours cette boîte et toutes les pièces et figurines qu'il contenait. Même à l'époque où, devenu « adulte » et « sérieux », je ne faisais plus de modélisme, cette boîte est restée sagement rangée dans un coin, et ces figurines m'ont toujours suivi dans mes différents déménagements.

Le Balrog de ce coffret, toujours signé Nick Bibby, propose une version outrageusement bestiale à tête de minotaure, tout en muscles, armé d'une épée et d'un fouet à lanières mutliples tous deux très détaillés et massifs, figé dans une pose très dynamique qui la rend particulièrement aggressive et qui nécessite un socle très long pour compenser le porte-à-faux du démon se projetant ainsi vers l'avant.

Balrog, référence BME3, Citadel, 1987



Le socle à lui seul pèse 60 g (plus que les trois figurines de Gandalf, Aragorn et Boromir réunies), et la figurine complète dépasse les 230 grammes. L'assemblage doit se faire avec de la colle epoxy et les différentes parties nécessitent des tiges d'acier, sauf les ailes pour qui un tenon taillé dans le dos du Balrog et une mortaise formé par l'assemblage des deux ailes peut suffire avec un collage epoxy adéquat. Une fois assemblé, ce modèle demande aussi de pratiquer un masticage important avant de le peindre, et c'est non sans une petite pointe de fierté que je l'ai récemment remonté, en se disant que l'adolescent encore inexperimenté d'alors s'en était plutôt bien tiré dès la première fois avec ce kit exigeant.

Après 1988 et le rachat des droits exclusifs par Mithril, Citadel cessa de produire officiellement des Balrogs jusqu'en 2001.

 

Mais officieusement, de très nombreux modèles de démons ailés d'allure ultra martiale furent développés très régulièrement pour alimenter les gammes de jeu de la maison mère.
 
Ainsi ce « Balgorg » (sic), démon ailé de la race des « Baalrukh » (re-sic) commercialisé dès 1987, et qui ne fut que le premier d'une très longue série qui dure jusqu'à nos jours... 

 

Balgorg, référence C31, Citadel, 1987.

Citadel racheta ensuite de nouveaux droits de franchise (non exclusifs) pour accompagner le lancement de la trilogie cinématographique de Peter Jackson en 2001, et c'est tout naturellement qu'un nouveau boîtage comprenant un Balrog (et une figurine de Gandalf) fut alors proposé, sous le titre « Duel à Khazad-Dum » (en VF).

Balrog, in Duel à Khazad-Dum, Citadel, 2001

Il s'agissait ici bien sûr pour les sculpteurs de reproduire au mieux le Balrog conçu par le studio Weta Digital pour le film, dont la figurine reprend les grandes lignes. Initalement proposé tout en métal, le kit fut ensuite rapidement proposé avec des ailes en plastique pour l'alléger (en le ramenant sous la barre des 200 grammes), et faciliter ainsi son assemblage et son équilibrage.

Grâce à ces ailes légères, ce modèle bénéficie de la plus large envergure de tous les Barlogs présentés dans cet article (24 cm !). Mais c'est aussi un modèle notoire pour la médiocrité de ses ajustements, et qui nécessite en effet d'importants masticages de ses différentes parties.

Une seconde variante fut proposée lors de la sortie du troisème film de Jackson, elle aussi avec des ailes en plastique, reprenant la même esthétique mais sculptée dans une attitude plus ramassée.

C'est à cette période que ce fabricant décida d'abandonner le monde de la figurine moulée en métal ou en résine pour se consacrer aux maquettes en plastique injecté, sortant de ce fait du cadre de la présente étude.


Les modèles Mithril (Prince August)

Cette filiale de Prince August, créée en 1987, est venue étoffer l'offre commerciale de ce fabricant d'origine suédoise, qui était avant cela surtout spécialisé dans les moules et les modèles militaires historiques (et relocalisé en Irlande en 1976).

 
Avant le lancement de sa gamme Mithril, Prince August avait lancé en 1984 une gamme de figurines fantastiques nommée « Fantasy Armies », et dans laquelle se trouvait un « Démon de feu », sculpté par Chris Tubb.

Fire Demon, référence DE1, Prince August, 1984.

On le voit, ce modèle offre une interprétation d'une grande fidélité à la description littéraire de Tolkien, autant par ses attributs (silhouette et crinière, épée et fouet) que par sa nature incendiaire, l'entité semblant ici se matérialiser depuis un bouquet de flammes à ses pieds.

 
 
C'est sous la direction artistique du même sculpteur Chris Tubb que la collection Mithril Miniatures proposa ensuite uniquement des modèles sous franchise Terre du Milieu, et originellement destinés au jeu de rôle de la société I.C.E.

Le Jeu de Rôle des Terres du Milieu (MERP), Iron Crown Enterprise, VF 1986.

Ce jeu eut un rôle déterminant dans production de figurines liées au monde de Tolkien à la fin des années 80.

Nous avons déjà vu que les marques Grenadier et Citadel avaient elles aussi acquis des droits de franchise en 1985 pour développer leurs propres gammes à destination des rôlistes de J.R.T.M. (dont la première version anglophone datait de 1984).

 

Le partenariat avec ICE a cessé au cours des années 1990, mais Mithril Miniatures a continué sa production exclusive pour offrir la gamme la plus étendue au monde de figurines métal ou résine consacrées à l'oeuvre de Tolkien (plus de 700 modèles ont été produits à l'heure où nous écrivons ces lignes). Outre leur nombre et leur inspiration, les figurines Mithril se dintinguent à plusieurs titres : elles ont toutes été conçues par Chris Tubb (et forment ainsi un ensemble d'une grande harmonie et d'une continuité de style remarquable et inégalée dans l'industrie), elles sont à l'échelle 32 mm (1/56) dite « réaliste » et sont souvent proposées avec une sous-couche gris mat, elles ne sont pas limitées au Seigneur des Anneaux mais couvrent les trois Ages de la Terre du Milieu, avec de très nombreux personnages issus du Silmarillion. Enfin, elles s'affranchissent totalement des différentes adaptations graphiques connues de l'oeuvre de Tolkien pour proposer une gamme originale qui s'appuie sur un style de sculpture tout finesse, que beaucoup de collectionneurs considèrent comme le plus proche des évocations littéraires et de la propre vision de Tolkien.

Malgré cette profusion de création étalée sur plusieurs décennies, il n'existe à ma connaissance que deux modèles de Balrogs commercialisés à ce jour par Mithril. Notons toutefois qu'il existe également au sein du catalogue deux modèles de « Razarac » (qui seraient des variations mineures de Balrogs de Morgoth de taille plus modeste et sans autres armes que leurs griffes, spécifiques aux déserts du Far Harad), mais cette créature fut une invention des scénaristes de la société I.C.E. pour étoffer leur jeu de rôle, et n'existe pas chez Tolkien.

Toujours disponible à la vente au sein de leur gamme, on peut trouver un impressionnant modèle de Balrog de la Moria en coffret, commercialisé en 1994. C'est un kit à la hauteur de la créature de Morgoth : le corps seul de la créature pèse 250 grammes, et les onze pièces assemblées avoisinent le demi kilogramme. Son prix est dérisoire comparé aux kits plastiques désormais vendus par la concurrence et c'est toujours un plaisir que d'ouvrir cette boîte neuve avec sa notice d'un seul feuillet, pliée et posée sur les compartiments en mousse qui contiennent ses différentes pièces soigneusement moulées.
 
 
 

Coffret The Balrog of Moria, référence MB300, Mithril Miniatures, 1994

C'est un Balrog de l'école bestiale, au corps musculeux, dont les grandes oreilles et le faciès sont clairement inspirés de la chauve-souris. Comme si ce démon de l'ancien monde, après des milliers d'années à se terrer au find fond des mines creusées par les Nains, avait fini par développer une apparence cavernicole selon un processus qui verrait ces esprits de feu, ces puissants démons de terreur, s'incarner physiquement par mimétisme avec leur environnement. 
 
 
 
The Balrog of Moria, référence MB300, Mithril Miniatures, 1994
 

L'idée est originale, et assez séduisante, et se distingue en tous cas par une subtilité qui échappe à beaucoup de représentations de Balrogs.

Une variante enfouie et assoupie fut proposée en 2011 à l'occasion d'une édition spéciale, sous la référence MS564 et sous l'appellation « The Entombed Balrog ».

The Entombed Balrog, référence MS564, Mithril Miniatures, 2011.

Le démon est représenté ici avec une tête légèrement plus léonine, sans armes, son corps accroupi figé dans un sommeil de plusieurs dizaines de siècles que les Nains n'ont pas encore dérangé. Cette nouvelle intérprétation originale, comme toutes les éditions spéciales Mithril, est désormais très difficile à trouver.

Et les fabricants français dans tout ça ? Ils ont surtout brillé par leur manque de réactivité dans ce secteur. A l'instar de la littérature, où la Fantasy a été longtemps méconnue ou dénigrée, les entreprises traditionnelles ont eu du mal à casser le moule purement historique et à exorciser le fantôme napoléonien qui hante le secteur du soldat de plomb dans l'Hexagone...

 

Le modèle Rackham

La société Rackham a commercialisé entre 1997 et 2010 des figurines fantastiques très originales et d'une qualité élevée, mais celles-ci étaient très spécifiques à leurs systèmes de jeux et à leurs univers, l'ambition affichée étant alors de s'établir comme éditeur de jeux et pas seulement comme fabricant de figurines. Hélas sans succès au final.

Toutefois, notons la présence dans leur gamme « Confrontation » d'un duo de démons ailés nommés « Molochs », l'un armé d'une hache, l'autre de deux épées enflammées, et au-dessus desquels il est difficile de ne pas voir planer l'ombre des Balrogs de Tolkien...

Moloch, boîte Les Molochs, Rackham, 2007.

 

Il s'agit ici d'une réprésentation démoniaque avec cornes et sabots de bouc assez classique, qui se distingue surtout par sa posture inspirée des arts martiaux, beaucoup de figurines de cette gamme étant d'ailleurs marquées par une influence esthétique que l'on pourrait qualifier d'orientalisante, ou inspirée par la culture Manga. 
 
Conformément à la réputation de cette marque, la figurine se distingue par une un scultpure précise, une originalité créative et une finesse dans son interprétation que l'on pourrait qualifier « d'élégance à la française » appliquée au monde de la figurine.

 

Les productions Rackham ont été ensuite piratées en Ukraine. Il se murmure que leur qualité de fonderie, s'il elle n'atteint pas les originaux, reste dans les standards élevés du marché et que leurs délais de livraison étaient tout-à-fait acceptables. S'il est dommage que les créateurs originaux soient spoliés de leurs droits d'auteur, c'est finalement un hommage à leur création (et c'est un auteur qui écrit ses lignes).


Les figurines Fenryll

Créée en 1991 par Thierry Crabouliet, ce fabricant hexagonal s'est tout de suite démarqué en coulant uniquement des modèles en résine à une époque où le métal restait prépondérant. D'abord orienté vers des modèles de grande échelle plutôt à destination de la vitrine, Fenryll s'est recentré au milieu des années 90 sur l'échelle 28 mm - qui reste ultra majoritaire dans le secteur du jeu de figurines fantastiques.

Il y a bien un modèle au nom de « Balrog » dans leur catalogue, mais ce n'en est pas vraiment un (mais plutôt un démon ailé de type saurien à tête de dragon, et sans épée ni fouet) alors que, bizarrement, deux autres modèles sont nettement plus proches des Valaraukars de Morgoth...(?).

Le premier, sculpté par Gaël Goumon et nommé « Démon Majeur », propose une version plutôt bestiale, avec une entité humanoïde rugissante à la musculature développée, affichant quelques éléments de pelage et armée d'un fouet et d'une épée. Classique mais assez efficace.

Le second modèle, dénommé « Le Fils des enfers » fut sculpté par Yannick Fusier. D'une esthétique plus déshumanisée, ses lignes nerveuses, son faciès grimaçant et la morphologie de ses membres antérieurs assument la dimension infernale suggérée par son appellation.

Démon Majeur, réf. FM097, Le Fils des enfers, réf. FM072, Fenryll, 2002-2003

Le second kit résine permet d'armer la figurine soit de deux épées soit d'une épée et d'un fouet, et on notera que son socle est gravé de moellons en pierres. Seul son appendice caudal nous paraît discutable, il est assez grossièrement sculpté et dénote avec la silhouette générale de la figurine, plus surnaturelle qu'animale. 

(Ces deux modèles restent toujours disponibles à la vente sur le site du fabricant).

Il serait bien sûr illusoire d'espérer recenser toutes les figurines produites depuis un demi siècle affichant une descendance plus ou moins assumée avec le Balrog de Tolkien. On pourrait même argumenter que toutes les figurines de démons ailés affichant une dimension guerrière s'en sont inspirées, consciemment ou non (ou que le Balrog de l'auteur britannique correspond finalement à un archétype démoniaque déjà solidement ancré dans l'inconscient collectif occidental).

 

Les modèles Grim Reaper Casting

On remarquera quand même que ce fabricant nord-américain, fondé en Pennsylvanie par des anciens de Grenadier Models et actif de 1991 à 2005, a produit deux modèles officiellement appelés Balrog au début des années 90, commercialisés via leur gamme « Nasteez ».

Balrog, référence 1005, Grim Reaper Casting, circa 1993.


C'est une belle figurine de 80 mm de hauteur à la pointe des ailes, et un Balrog bestial mais plutôt martial, portant cuirasse et épaulière et armé d'une épée, qui semble interpeller l'adversaire qu'il désigne du doigt, une gestuelle inhabitelle qui donne du caractère à cette sculpture.
 
Il lui manque tout de même un fouet, et son épée n'est pas un modèle ardent (le modèle de notre collection est par ailleurs équipé d'une épée de substitution).



Leur seconde figurine, référence 1211, est plus discutable. Un Balrog bestial qui a passé plus de temps à la salle de musculation que dans les mines de la Moria, et dont l'aspect général relève sans doute d'une ironie qui nous échappe (ou du comique involontaire).
 
Par ailleurs, il manque un fouet à ce Balrog, et son épée ardente est bien modeste.

 

 

Le modèle Reaper Miniatures

Même si ce n'est pas officiellement un Balrog - l'amateur que notre prose n'aura pas découragé pourra enfin s'intéresser de près au modèle désigné sous le nom de « Narglauth, démon de feu », référence 02654, chez ce fabricant texan. Une belle figurine de 125g, à la sculpture de grande qualité signée Bob Olley et initialement diffusée en 2003.

Narglauth, Fire Demon, référence 02654, Reaper Miniatures, 2003.

C'est là un Balrog dans toute sa bestiale splendeur : pelage abondant et intégral, faciès très humain, musculature développée, ailes très organiques. Le modèle est dûment armé d'une longue épée ardente et d'un fouet. Comme souvent avec les modèles en métal, les ailes sont moulées séparément et doivent faire ici l'objet d'un assemblage qui se fera préférentiellement à la colle epoxy au vu de leurs poids important. Cette représentation fait partie de la vaste gamme « Dark Heaven Legends » chez Reaper Miniatures, qui offre près de deux mille références de figurines fantastiques génériques à destination de tous les publics, qu'ils soient collectionneurs, peintres ou joueurs.


Et les Balrogs féminins ?

A ma connaissance, il n'a jamais été produite une seule figurine de Balrog femelle. Pourtant, rien dans les écrits ou la cosmogonie de Tolkien ne l'interdit. Nous avons vu plus haut que l'auteur a fini par décider que ces entités étaient des Maiar déchus. Or, ceux-ci, même s'ils sont des entités spirituelles d'essence divine, s'incarnent au travers d'apparences anthropomorphes, et plusieurs de ces divinités sont ainsi nommées et décrites comme étant féminines par l'auteur. L'une d'elles, nommée Arien, est un esprit de feu. Chargée à l'origine de veiller sur Laureline, l'arbre d'or de Valinor, Arien fuit ensuite choisie pour guider indéfiniment au travers les cieux le navire portant le dernier fruit étincelant de Laureline, étant la seule à pouvoir supporter la lumière et la chaleur de ce qui deviendra le Soleil de la Terre du Milieu. 

Puisque les esprits de feu féminins existent, rien ne s'oppose à ce que certaines de ces entités aient pu être séduites par Melkor pour se muer en Balrogs. Mais cette possibilité n'a pas semblé intéresser les créateurs de figurines... Que ce soit au travers de l'école bestiale ou de l'école démoniaque, ce sont toujours des caractères sexuels secondaires masculins qui ont été mis en avant par les sculpteurs.

Il existe pourtant dans l'industrie de nombreux modèles de démons femelles. Toutefois, ces figurines sont généralement de variations du thème de la succube, telle Lilith, ce démon féminin ailé de la tradition hébraïque qui aurait été la première femme maudite d'Adam. Cette thématique assez universelle et présente sur tous les continents au travers de nombreuses variantes, incarne et traduit la crainte masculine d'une sexualité libre et débridée chez la femme. Ainsi, ces figurines de femelles démoniaques sont souvent proposées à minima torse nu, si ce n'est totalement nues, et génèrent forcément un trouble attrait pour l'adolescent qui se lance dans le loisir, la figurine devenant alors un peu plus qu'un simple accessoire de jeu ou objet de collection.

Reaper Miniatures propose ainsi plusieurs modèles différents de succubes génériques, et le modéliste pourra aisément en faire des Balrogs femelles, avec un travail de conversion se réduisant généralement à les doter d'un fouet et d'une épée enflammée.

Sirithis, réf. 02181, Virina, réf. 03084, Ashakia, réf.14083, Reaper Miniatures.

 

Enfin, je ne saurais décemment conclure ce mémo sur le Balrog sans un dernier clin d'oeil à une dernière représentation très populaire inspirée par celui-ci, et qui rappelera sans doute de nombreux souvenirs à nos lecteurs quadragénaires.

Gargoyle, boîte HeroQuest, MB, 1989 (VF).

Il s'agit de la pièce en plastique du jeu de plateau « HeroQuest », commercialisé en France par la société MB en 1989.

Si elle était nommée « Gargouille », sa filiation avec le Balrog de Tolkien n'a besoin d'aucun test génétique...

 

Laissons donc les mots de la fin, légèrement modifiés, à Legolas :

Ai ! Ai ! Great numbers of Balrogs are come !


Note de l'auteur : que les lecteurs éventuels de cette étude n'hésitent pas à me communiquer les références de figurines en métal ou résine de Balrog qu'ils identifieraient et que je n'aurais pas recensées (excluant toutefois volontairement de ce panorama et de ma collection les maquettes en injection plastique ou les kits récents issus d'impression 3D, trop nombreux, générés par ordinateur, et de toutes façons désormais presque tous influencés par le Balrog du studio Weta Digital).